Je m’appelle Yann Dupré. Je vis et travaille dans les sous-sols de Paris, comme tant d'autres réfugiés. Depuis ce jour où tout a commencé, depuis que le climat s'est affolé. Les scientifiques nous avaient pourtant prévenus… Mais personne ne les a écoutés, préférant continuer sa petite vie.

   Avant, j'étais employé dans une banque, petit cadre modèle bien sous tous rapports, ayant femme et enfants, un chien et une voiture par personne et puis… Un matin, au réveil, je ressentis une impression étrange : une sorte de sentiment de déjà vu, comme dans les films où les cinéastes nous balancent des flash-back. Je me levai, comme tous les autres matins, pour aller travailler. Je regardai par la fenêtre, mais il n'y avait personne dans la rue. Ce fut à cet instant que je m’aperçus que quelque chose clochait. Le bitume fumait et était en train de fondre, mais aucun engin de travaux publics ne se trouvait là.

   Alors, j'allumai la télé qui ne diffusait que des images de désolation dans le monde, comme ces derniers jours. Le journaliste semblait affolé, complètement désemparé devant ce spectacle navrant : ouragans et typhons en Afrique de l'Est, tremblements de terre un peu partout sur la planète et ici, en Europe, des records de chaleur avoisinant les 50° à l'ombre. Températures dignes d'un mois d'août et non de décembre… Comme si les hémisphères s'étaient brusquement inversés !...

   Je restai cloué devant le poste, attendant le reste de la famille, mais aucun bruit ne sourdait dans la maison, comme s'ils s'étaient évanouis. A la télé, toutes les chaînes ne parlaient que du thermomètre qui s'était affolé d'un  coup en quelques heures. Les enfants et ma femme se levèrent enfin, la tête embrumée, comme d'habitude. Une journée somme toute normale s'annonçait, encore une avant les fêtes de fin d'année. Après le petit-déjeuner, je sortis, en costume cravate, uniforme du parfait col blanc que j'étais devenu. Je ne savais pas alors que dès le matin suivant, j'allais être obligé, comme des millions d’autres, d'investir les souterrains pour pouvoir survivre.

   Durant le vingtième siècle, dans de nombreuses cités du monde entier, du moins dans les pays riches, des hommes avaient eu l'idée géniale de construire des centres commerciaux sous terre. A cette époque, ils n'imaginaient pas combien leur idée serait appréciée par les survivants et réfugiés de ce siècle-ci ! En effet, à cause de la montée fulgurante des températures sur l'ensemble de la planète, du fait de la disparition progressive de la couche d'ozone due à la pollution atmosphérique, toute forme de vie était menacée de disparaître de la surface de la Terre. En fait, les êtres vivants, humains et animaux, allaient devoir se réfugier dans les catacombes, tunnels, égouts, couloirs de métro, centres commerciaux et zoos enterrés…

   Certaines régions du globe, surtout celles situées dans l'hémisphère sud, allaient disparaître sous la mer, à cause de la montée des eaux, due au réchauffement tant redouté par les scientifiques au début du siècle. Il est vrai que depuis quelques années, on avait pu constater un certain changement dans les saisons : étés et printemps froids, hivers et automnes chauds, mais cette fois, on battait de nouveaux records, surtout pour les pays de l'hémisphère nord.

   Le soir de ce vendredi 18 décembre 2020, le Président européen prit la parole au journal télévisé, tout comme les chefs d'Etat du monde entier.

"Mes chers compatriotes, vous avez pu constater comme moi que les températures se sont envolées ces jours-ci. Ce phénomène semble dû à l'agrandissement soudain du trou de la couche d'ozone qui laisse passer en grande quantité les rayons les plus dangereux du soleil. Aussi, après concertation avec mes homologues et les plus grands scientifiques, je vous demande de rassembler vos affaires personnelles importantes et de vous rendre le plus rapidement possible dans un centre commercial souterrain, un tunnel, les catacombes, égouts ou stations de métro les plus proches de votre domicile. N'ayez aucune crainte, ce n'est qu'une question de jours, voire de semaines, le temps pour les plus éminents professionnels de trouver une solution. Restez bien à l'abri du soleil et ne sortez pas avant que l'on vous en donne l'autorisation officielle."

   Imaginez les scènes de panique dans toutes les villes du monde à l’annonce du Président européen et des autres chefs de gouvernements de la planète, de pillage également, comme à chaque fois qu'un évènement imprévu se produisait.

   Et puis… Et puis… Nous nous sommes ainsi retrouvés, ma famille et moi, comme l’humanité toute entière, dans les catacombes, les grottes, habitations troglodytiques et toutes les anfractuosités de par le monde, apprenant à vivre sous terre.

   Cela fait aujourd'hui trente ans. Nous n'avons toujours pas revu la lumière du jour depuis le 18 décembre 2020…